Salut à tous,
Afin de mieux vous faire connaître les auteurs (et aussi les lecteurs !) de La Musardine, nous avons initié une série d’interview. Voici la première, du bicéphale Léon Despair / Erika Montlaur.
Écrivez-vous sous pseudonyme ?
Oui. Léon Despair est un pseudonyme. J’en utilise un deuxième, Erika Montlaur, pour une série (« Les Détectives du bizarre »). J’ai même utilisé un troisième pseudonyme pour un roman illustré qu’on me demandait d’écrire en un week-end. J’ai essentiellement écrit un an, en 2000/2001, pour Media 1000 et la collection « Contraintes » dirigée par Robert Mérodack.
Pour quelle raison n’écrivez-vous pas sous votre vrai nom ?
Passionné par les romans de gare, j’ai eu l’envie de me conformer à une tradition de dissimulation, voire de modestie. Sans doute aussi, à cette époque, n’avais-je pas envie de revendiquer pleinement ces romans. Puis je me suis attaché à Léon Despair au point qu’il est devenu, à mes yeux, un auteur indépendant, un double réel. Et l’aspect « sous le manteau » de la pornographie, qu’impliquait l’usage de pseudonymes, me séduisait. J’ai eu le sentiment d’un privilège : participer modestement aux derniers soubresauts de la littérature populaire, entrer dans la peau d’un mercenaire du récit hard, forcément relégué dans l’ombre, s’éparpillant, comme je l’ai fait, dans plusieurs noms pour masquer une activité littéraire intense.
Quelle est l’origine de ces pseudos ?
Je ne sais expliquer la création du nom, il s’est imposé d’emblée, il sonnait bien et le prénom a suivi naturellement. Erika Montlaur est moins mystérieux, combinaison de références à des actrices du cinéma fantastique et érotique : Erika Blanc et Yvonne Monlaur, avec un « t » fautif dont Mérodack est responsable et que j’ai gardé.
Est-ce que le fait d’écrire des romans pornos change quelque chose à vos rapports avec les gens (autres écrivains, entourage, etc.) ?
Pour ceux qui étaient au courant de cette activité, cela n’a rien changé à mes rapports avec eux. Si ! Un ami écrivain à qui j’ai fait lire un roman publié – pour l’inciter lui-même à en écrire car il était dans la mouise – a trouvé ça choquant ; mais notre relation ne s’est pas modifiée pour autant.
Je soupçonne en moi l’envie forte d’être « dévoilé ».
Je soupçonne chez moi une forte envie d’être « dévoilé » mais je considère tout cela comme des œuvres de jeunesse, contenant des scories. Despair fait partie d’une époque révolue qui n’appartient qu’à lui. Aujourd’hui j’ai des textes à finir, guère moins porno, que je signerai probablement de mon vrai nom.
Écrivez-vous uniquement de la pornographie ?
Oui.
Ne vous sentez-vous pas limité par le genre, arrivez-vous à dire tout ce que vous désirez ?
Longtemps, j’ai complexé sur l’impossibilité d’écrire autre chose que de la pornographie. Désormais, je l’accepte avec orgueil et me contrefiche de n’avoir jamais pu écrire un polar, par exemple. Dans la fiction, seule la pornographie m’intéresse. Je m’y sens entièrement libre, pour peu qu’un directeur de collection ou un éditeur ne soit pas figé dans des principes et cherche à m’imposer des théories sur le genre et son écriture et cette idéologie contestable sur le « réalisme ». J’apprécie beaucoup certains textes d’Esparbec, mais je m’oppose violemment à sa conception (farfelue) du réalisme. Celle au nom de laquelle les femmes écartent forcément les cuisses, même en rougissant, au bout du premier chapitre : c’est un réalisme de conte de fées. Esparbec est d’ailleurs le premier à enfreindre certains de ses préceptes ! Les anglo-saxons prennent plus de liberté avec le genre. La pornographie ne m’intéresse que libérée de tout diktat et comme tremplin aux fantasmes, surtout les plus fous. Le réalisme, l’autofiction du quotidien m’indiffèrent. Ou alors subvertis. Autrement, je ne vois pas l’intérêt de « faire de la pornographie ». Je ne me sens pas limité par le genre, mais par les éditeurs et/ou leurs directeurs de collection. J’ai connu une entente formidable avec Robert Mérodack, qui dirigeait la collection « Contraintes » pour Media 1000.
Pour quelle raison écrivez-vous des bouquins de cul ? Uniquement pour le plaisir de procurer une satisfaction immédiate au lecteur, ou bien y a-t-il d’autres raisons qui vous font travailler dans ce genre littéraire ?
Ah non ! La « satisfaction immédiate » est d’abord la mienne. Le lecteur passe après, selon l’idée que si l’auteur est excité, le lecteur pourrait bien l’être aussi. J’éprouve un plaisir intellectuel primordial à l’écriture, mais c’est aussi une activité sexuelle. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, je ne peux supporter des contraintes dans ce type de récits. Sinon je m’ennuie, n’éprouve aucun plaisir, aucune jouissance. L’écriture est une fièvre qui m’autorise tout. J’écris du cul car j’attache une importance folle aux fantasmes. Et je crois aussi au pouvoir magique des mots et des histoires. Disons que j’écris pour revivre des aventures ou pour qu’elles se produisent. Ou pour donner une réalité à certains fantasmes « impossibles ».
Combien de temps cela vous prend-il d’écrire un livre ?
Si un éditeur me payait tous les mois pour ça, ce serait un par mois. Du temps de Mérodack, c’était mon rythme. Un texte me demandait 15 jours à trois semaines. J’ai désormais des manuscrits en souffrance, que je peaufine depuis des années. Mais ils ne sont plus tout à fait du Léon Despair. Je pense que ma pornographie s’écrit dans l’urgence, avec une montée du fantasme et de l’excitation, intellectuelle et/ou physique. Mon écriture court après les fantasmes de peur qu’ils s’évanouissent. Il faut battre le fantasme quand il est chaud.
Êtes-vous écrivain à plein temps ?
Je suis un homme de fiction, la littérature fait partie d’un ensemble. Même signés sous pseudonymes, mes romans ne constituent pas un jardin secret, étranger à mes autres occupations.
Pour le moment, je suis surtout un romancier porno sans éditeur ! Media 1000 semble ne plus éditer d’inédits, et si c’est le cas, ce sera moins bien payé qu’en 2000. J’avoue qu’être correctement payé contribue aussi très largement à ma motivation. Depuis quelques temps, j’ai entamé l’écriture d’un nouveau roman pour Media 1000, quel que soit les droits d’auteur qui seront établis. Le mercenaire Despair laisse place à un nouvel auteur, un nouveau pseudo, le temps d’un seul roman probablement, dont la motivation est plus ambiguë et vaniteuse. Comme d’autres rêvent d’être dans la Blanche de Gallimard, j’ai ce rêve fou d’entrer dans les « Confessions érotiques », summum du roman de gare pornographique, bien davantage que les « Érotiques d’Esparbec » et « Les interdits ».
Avez-vous des rituels d’écriture ? Des « tics » ou des superstitions, quand vous vous mettez au travail ?
Quand j’entame la rédaction d’un roman, j’y réfléchis d’abord une à deux semaines, dans les transports. Je rêvasse aux idées de départ, je griffonne des notes. Je m’installe ensuite devant l’ordinateur, sans forcément avoir le plan complet du roman, et j’écris. En mercenaire de roman de gare, je regarde toujours le compteur du nombre de signes pour savoir quand je dois conclure. J’aime imprimer tout le texte pour le relire et l’annoter. Et j’aime faire ce travail de relecture dans les transports en commun et dans mes cafés habituels. Le temps de corrections et de relecture n’est pas vraiment un temps d’excitation, sauf surgissement d’une idée perverse à côté de laquelle j’étais passé dans l’écriture.
Préférez-vous mettre en scène un personnage principal féminin ou masculin ?
J’ai fait les deux. Mais je constate avoir souvent privilégié un homme en personnage principal.
Pourquoi ?
Je m’y projette plus facilement, même si ce n’est pas toujours écrit à la première personne.
Quels sont vos thèmes préférés en pornographie ?
La domination des femmes sur les hommes, le Femdom comme disent les Anglo-saxons, avec une tendance nette aux situations non consensuelles.
Vous imposez-vous des limites ? Vous auto-censurez-vous ?
Surtout aucune auto-censure ! La littérature permet tout, pourquoi donc s’en priver ? Secouons dans leur torpeur craintive les éditeurs qui s’obstinent à faire lire des manuscrits à des cabinets d’avocats dont le seul souci n’est pas la défense de la liberté de création mais la justification de leurs honoraires (donc de la censure qui assoit leur « utilité »). L’époque d’un Maurice Garçon défendant Pauvert semble hélas révolue, et les avocats cultivent l’idée d’une censure pour se rendre indispensables. Les écrivains doivent se battre contre cette bêtise.
D’où viennent vos idées ?
Ma propre vie, mes propres fantasmes. Surtout pas des fantasmes qui me seraient complètement étrangers, à moins qu’ils me fascinent au point de vouloir les découvrir, ne serait-ce que par l’écriture. Surtout pas en lisant des textes, à moins d’admettre tout un réseau possible d’influences. Je mise davantage sur mon imaginaire que sur la vie des gens.
Qu’est-ce qu’une scène de cul réussie selon vous ?
Je dois être excité. Écrire du cul doit me mettre dans un état de tension, dans une fièvre. J’écris d’une main, j’écris avec ma queue. Des auteurs de pornos affirment ne pas se branler ? Je ne sais pas comment ils font. Je dois être excité par les idées, l’implacable mécanique du récit, je dois me faire surprendre et bander. Me laisser submerger par le texte, le vivre. Puis le corriger pour le rendre encore plus efficace (plus bandant). Mais je n’aime pas jouir, ce serait la fin brutale du travail, le souci du sperme sur la main, un mouchoir à trouver, tout un embarras au cours duquel la concentration se dissout et le récit s’interrompt. C’est l’exacerbation du désir qui m’intéresse, la bandaison et être soi-même stupéfait par les images qui se forment.
Quels sont vos méthodes, vos ingrédients secrets, vos « petits trucs » ?
Je peux surtout écrire la nuit, tard. Je peux tolérer une pause, recharger les batteries, manger mais avec le texte à l’esprit, hantant les pensées, avec cette fébrilité de revenir le plus vite possible au bureau.
Dans un roman érotique, qu’est-ce qui est le plus difficile à écrire ? Les scènes de cul, ou bien les autres scènes ?
Tout est difficile. Je n’aime pas faire trop de psychologie, j’en déduis que c’est difficile pour moi. Certains fantasmes semblent nécessiter trop d’explications et deviennent trop techniques, ce n’est en général pas très bon. Quand un fantasme a été longuement mûri en soi, quand on sait déjà presque tout de ce que l’on va écrire, cela peut aussi devenir laborieux. Les scènes de cul, si elles deviennent répétitives, sont difficiles à renouveler. Parfois on est intéressé par un mot, une phrase à atteindre, une situation à obtenir, et le risque est alors de bâcler la scène érotique. J’aime bien les autres scènes, dites « non érotiques », elles sont elles aussi chargées de vice, nécessaires au cul, pour amener la tension, ménager une respiration sournoise pour mieux surprendre ensuite.
Faites-vous lire vos manuscrits à des lecteurs privilégiés, avant de l’envoyer à votre éditeur ?
Avant non, maintenant oui.
Avez-vous des fans, des lecteurs fidèles ?
Aucune idée. Grand mystère pour un auteur de romans pornos sous pseudonyme. Une fois, j’ai rencontré dans une librairie porno à Bruxelles un admirateur de « Léon Despair », qui a ajouté qu’il adorait aussi… « Erika Montlaur », mes deux pseudonymes ! Un homme de goût qui m’a fortement étonné.
À quelqu’un qui ne vous connaîtrait pas, lequel de vos livres conseilleriez-vous de lire en premier ?
L’Affaire Eden-Canin, qui est un Erika Montlaur. Je crois que c’est le plus drôle. Je me demande d’ailleurs si mes romans porno ne sont pas avant tout humoristiques avant d’être érotiques…
Dans votre bibliographie, quel est le livre que vous préférez ?
Je ne me sens pas capable d’avoir une appréciation sur mes romans d’il y a quinze ans. Mais je dirais les deux premiers. L’Affaire Eden-Canin qui vient d’être cité et L’Homme qui hennissait signé Despair. Je les crois très obsessionnels et tordus, assez vicieux, tournant autour d’une thématique que j’adore : la transformation en animal.
Et dans l’histoire de la littérature érotique, quel est le livre que vous préférez ? Pourquoi ?
La Femme aux chiens de L’Erotin (Alphonse Momas, fonctionnaire à la préfecture de la Seine), en dépit d’une faiblesse passagère (avec un violeur dans un buisson), est un chef-d’œuvre de la littérature clandestine, présenté comme un « recueil documentaire psycho-pathologique sur les aberrations sexuelles chez la femme normale tombant à la bestialité la plus raffinée“. Il est le récit d’une folie qui s’empare crescendo non seulement de la femme du titre, mais des chiens eux-mêmes, chacun doté d’une psychologie spécifique.
Pour aller plus loin :
http://www.lamusardine.com/recherche.php?recherche_simple=L%E9on+Despair&x=0&y=0
et http://www.lamusardine.com/recherche.php?recherche_simple=%E9rika+montlaur&x=0&y=0