Salut à tous !
Et nous poursuivons donc notre exploration des dessous de Media 1000 avec l’interview d’un autre auteur emblématique : Carlo Vivari.
Écrivez-vous sous pseudonyme ?
J’ai pris un pseudo parce que quand j’ai commencé, au début des années 90, ce n’était pas pensable autrement. Le porno, genre maudit par excellence, réputé facile à écrire de la main gauche, en pensant à autre chose était très loin d’être entré dans les mœurs (d’ailleurs, mon premier manuscrit chez Sabine Fournier, une histoire de première communiante, a été interdit tout de suite). La Vie sexuelle de Catherine M. ne sortirait que dix ans plus tard, et Cinquante nuances de Grey, le premier « porno domestique », dix ans plus tard encore…
Et j’ai choisi le pseudo « Carlo Vivari » à cause de la ville d’eaux de Karlovy Vary, en Tchéquie, dont l’orthographe m’a énormément surpris. Je connaissais vaguement ce nom à l’oreille, mais le voir écrit comme ça, ça m’a fait l’effet d’une révélation. Il s’agit d’une ville d’eaux, plutôt romantique et littéraire (Kafka y a séjourné en compagnie de sa fiancée Felice), dont le nom germanique Karlsbad rime avec Marienbad (comme le titre du film) toute proche en Bohème… et quoi de plus bohême qu’écrire du porno ?
Pour quelle raison écrivez-vous des bouquins de cul ?
Écrire des bouquins de cul, pour moi, c’est comme jouer avec le feu… ou, comme pendant l’enfance, le danger que ça pouvait représenter de jouer avec des allumettes (strikt verboten !). C’est aller où c’est brûlant parce qu’il n’y a que ça d’intéressant… À quoi bon s’asseoir devant un écran et un clavier si ce n’est pour se mettre en route vers une femme nue ? Y a que ça ! Le grand but hors d’atteinte c’est le projet de Baudelaire :
« Mettre son cœur à nu, écrire ce livre sur soi-même où serait poussé à tel point le souci de sincérité que, sous les phrases de l’auteur, « le papier se riderait et flamberait à chaque touche de la plume de feu ». »
Le premier « bouquin de femmes à poil », comme nous disions, sur lequel je suis tombé était un roman à deux sous que trimballait un copain de lycée pendant les heures de permanence. J’ai oublié le titre et l’auteur si toutefois il y en avait : il me semble que la couverture avait été arrachée, et qu’en tout cas, le papier était de très mauvaise qualité.
Une scène qui sans doute se répétait souvent dans l’histoire m’est restée en mémoire. Le narrateur, un garçon de mon âge seize ans, par là , avait rencontré une fille nubile ultracomplaisante, et son plus grand plaisir consistait à la faire s’allonger sur le ventre, jambes écartées en grand compas. Il enfouissait son visage là, entre entrecuisse et entrefesse, et il y restait des heures, sans bouger bouche ouverte, narines béantes, yeux agrandis, oreilles dressées, langue sortie à recevoir les flux et effluves divers et variés qu’émettaient, l’un après l’autre ou tous ensemble, les orifices féminins. Il n’était jamais déçu, le gars : il se passe toujours quelque chose à la fourche des femmes, surtout quand on est doué d’une patience d’ange, ce qui était le cas du héros (et de la fille aussi, soit dit en passant). Moi, ça me paraissait le comble du comble de la perversion et de la jouissance. Et la place que le narrateur avait choisi d’occuper, ses cinq sens en alerte, c’était le jardin d’Éden. Et dire que chaque femme qui passe en comporte un, de paradis terrestre pour peu qu’elle veuille bien l’ouvrir !
Et du coup, écrire du sexe, pour moi, aujourd’hui encore, c’est tout simplement replonger dans l’atmosphère archimoite, ultraconfinée, hyperenivrante de cette histoire restée gravée à jamais. Le héros, d’emblée, avait su mettre dans le mille ; c’est toujours pour moi l’exemple à suivre. C’est là que ça se passe, tout le monde le sait, peu s’y aventurent, en définitive… Il faut dire qu’il fait trop chaud au cœur de l’équateur féminin !
Et comme dit le poète :
« Je ne voudrais voir le monde
que par la fissure dans le mur de ton cul.
Oui, il fait tout noir, et ça sent le soufre.
Comme au fond de la cuve du Vésuve,
et comme sous les cendres
d’Herculanum
Pompéi
Hiroshima
Nagasaki
Bikini ! »
Êtes-vous écrivain à plein temps ou bien avez-vous un métier alimentaire ?
Je suis correcteur-rewriteur dans la presse et l’édition, et j’accepte tout ce qu’on me propose pour des raisons, oui, « alimentaires » (n’oublions pas non plus loyer, gaz, électricité, eau, téléphones, Internet, Amazon, courses au marché et supermarché, couscous du quartier, toubibs, fringues…), et du coup, « écrire pour soi » est devenu un luxe, et même, on se sent coupable d’écrire devant son écran « personnel » (le plus souvent orange pâle parce que les polices noires Courier New 12 ressortent mieux) comme si ce travail était un loisir (à savoir une dépense d’énergie inutile et désintéressée). D’où un sentiment d’insécurité parce qu’il y a toujours une facture qui traîne, un livre important à lire, une expo indispensable, un film classique qui repasse… alors que le Temps ne repasse pas les plats.
Avez-vous des rituels d’écriture ? Des « tics » ou des superstitions, quand vous vous mettez au travail ?
Oui. Je ne peux pas être habillé comme pour sortir (souliers, ceinture, coup de peigne, coup de rasoir après la douche…). Non, il faut que je sois frais (fripé) sorti du lit (pantoufles, pantalon de pyjama enfilé sous chemise de nuit, robe de chambre) encore en tenue de rêve, surtout pas d’eau sur la figure, mais du café noir au bol. Et ça jusqu’au soir. Travailler, c’est traîner, pour moi… baigner dans son jus… mijoter à feu doux… plus de tabac, malheureusement, mais une énorme pipe danoise pour pomper l’air… au lecteur aussi, souvent…
Quels sont vos thèmes préférés en pornographie ?
Je constate, à force, que ce qui revient le plus chez moi, c’est voyeurisme-exhibition. J’ai du mal avec les scènes sado-maso, surtout quand c’est un homme qui maltraite une femme – et que ça n’en finit pas…
Vous imposez-vous des limites ?
Les limites, quand on écrit du porno, s’imposent elles-mêmes : le meurtre ou la saleté vraiment repoussante. Pour corriger ou réécrire du porno, il faut parfois avoir le cœur bien accroché : certains auteurs vont très loin, et on ne peut pas les suivre de gaieté de cœur. Ce que je ne supporte pas, et qui fait s’évanouir tout désir chez moi, ce sont ces scènes où une femme est tellement dégradée physiquement, mise en pièces par son bourreau, qu’elle perd toute figure humaine et tout attrait… là, je décroche complètement. Et le scato en avalanche peut être, lui aussi, dur à avaler…
Où trouvez-vous l’inspiration de vos livres ?
Tout vient de ma « vie intérieure », et c’est pour tout le monde pareil, je pense. Le cerveau est une salle de cinéma plongée dans le noir, et ça se déroule sur l’écran sans nous demander la permission, grâce à l’énergie increvable d’un projecteur nommé Désir. Parfois, on voudrait même que ça s’arrête, on n’en peut plus, mais on n’est pas maître du processus – pas plus que des rêves. Nous assistons à nos scénarios, avec lesquels, souvent, nous ne sommes même pas d’accord.
Mais, c’est vrai, la vie extérieure (les histoires des journaux ou des amis) peut nous donner des idées. Ces temps-ci, je pense beaucoup au cas (réel) d’un chirurgien esthétique spécialisé dans l’embellissement du plus beau monument de la Création : la croupe féminine. Un sculpteur, le type, c’est le cas de le dire… et vrai Pygmalion, susceptible de tomber dangereusement amoureux de sa statue… vraiment vivante, pour le coup.
Dans un roman érotique, qu’est-ce qui est le plus difficile à écrire ? Les scènes de cul, ou bien les autres scènes ?
Les scènes de cul, bien sûr. Ce sont les scènes que les « écrivains » évitaient de faire jusqu’à il y a peu (et que la plupart fuient encore comme la peste, pour la bonne raison que c’est un exercice casse-gueule : ils se défaussent en disant que se laisser aller à écrire une scène de sexe, ce serait céder à la facilité ou faire le trottoir. Tu parles !).
Écrire du cul, c’est prendre le risque de retirer son pantalon en public (le comédien qui, dans En attendant Godot, devait, à un moment, perdre son pantalon sur scène ne pouvait absolument pas s’y résoudre. Pour le contraindre, il a fallu toute l’insistance du metteur en scène et de l’auteur).
D’ailleurs, dans la vie, pour pouvoir parler de sexe à voix haute à quelqu’un, il faut un rituel et un meuble sacré : le confessionnal avec le curé planqué dedans dans le noir ou bien le divan sur lequel le patient tourne carrément le dos à son psy.
À quelqu’un qui ne vous connaîtrait pas, lequel de vos livres conseilleriez-vous de lire en premier ?
On peut très bien commencer par la nouvelle que j’ai mise en ligne tout récemment sur www.meshistoiresporno.com intitulée : Je me souviens de Mai 68 comme si c’était hier, sur le thème « À plusieurs ». Elle se veut un peu trop rigolote à mon goût, mais elle donne une idée assez juste de ma manière.
Dans votre bibliographie, quel est le livre que vous préférez ?
Celui que j’ai en cours, forcément, et qui s’appelle Le Nain et sur lequel je sue sang et eau dès que les labeurs nécessaires à la survie m’en laissent le « loisir » (l’esclavage, devrais-je dire !). Mais jouissif… tous les auteurs le savent bien.
Et dans l’histoire de la littérature érotique, quel est le livre que vous préférez ?
J’ai une admiration toute particulière pour Le Mort de Georges Bataille. C’est… c’est… D’abord, c’est comme un théorème, et comme Théorème de Pasolini, c’est carré, net, et sans bavures, même si tous les orifices féminins bavent, et pas qu’un peu… Écoutons « La Pléiade » : « … ce texte « d’un très mauvais genre », qui relate, sur fond de tempête et de campagne boueuse, une nuit de débauche tenant à la fois de la veillée funèbre et du chemin de croix, fait figure d’exception ou d’anomalie… » « Récit le plus court de son auteur, sans doute le plus scandaleux, affecté d’un coefficient d’obscénité sans équivalent… » « Loin de tout érotisme, on est ici au plus près de ce qu’on a coutume de désigner sous la catégorie du pornographique. »
Et juste une citation pour la route : « … le vit cracha le foutre sur la table et le nain trembla de la tête aux pieds (comme un cartilage qu’un chien broie). »
Pour aller plus loin :
http://www.lamusardine.com/recherche.php?recherche_simple=carlo+vivari&x=0&y=0