Je serre Claire dans mes bras et je veille à ce que son corps demeure chaud. J’y tiens plus que tout. Dans le même temps, je plonge mon visage dans sa chevelure et j’en hume le parfum. Ce ne sont désormais plus des fantasmes, des mots écrits sur la page d’un cahier. C’est donc vrai… Nous venons de coucher ensemble, elle et moi. Les cheveux de Claire sont complètement décoiffés. Pêle-mêle. Bon d’accord… Force est d’admettre que la toute jeune trentenaire n’a pas ménagé ses efforts et qu’elle s’est donnée, abandonnée au lit sans compter. Je sens qu’elle tremble dans mes bras. Je resserre encore un peu plus notre étreinte pour qu’elle ait chaud. Là. Les mouvements incontrôlés de son corps se calment et cessent.
Ma bouche se déplace et se porte sur son visage. Là. Je lui dépose un tout petit baiser sur le front. Claire émet un gémissement éloquent.
– Benoit… Pardonne-moi. J’ai pas été juste avec toi, il y a sept ans, quand je t’ai envoyé balader. C’est juste que… Que…
– Chuuuuttt, Claire… Chut, chut. Le passé, c’est le passé. Tu fais ta vie depuis, je fais la mienne. C’est un… miracle que l’on se retrouve aujourd’hui. Profitons-en, tu veux? Prolongeons la magie.
Pour toute réponse, Claire émet cette fois un soupir. Mes paroles l’apaisent, la touchent. Je sais ses muscles se relâcher.
– Benoit… Je suis… Je suis… Je suis bien, là, avec toi.
Nos relations à Claire et moi remontent à il y a une dizaine d’années. C’était à l’université. Suite à une année difficile à tous points de vue, j’avais été contraint de refaire ma troisième année de Licence d’anglais. À la rentrée qui a suivi, nous étions quelques-uns à devoir refaire notre année. Une nouvelle promotion nous a rejoints.
Parmi ces étudiants qui allaient vivre leur troisième année de Licence d’anglais, il y avait cette jeune femme réservée qui faisait partie d’un petite groupe de filles inséparables se connaissant depuis des années et des années. Cette jeune femme, c’était Claire. Elle avait vingt ans à l’époque. Elle avait de longs cheveux bruns qu’elle portait souvent en un chignon impeccable. Néanmoins, ça pouvait lui arriver de les laisser lâchés. En revanche, une chose, un élément qui ne changeait jamais, c’étaient ses beaux yeux verts de vipère. Soit elle portait ses lunettes aux verres carrés, soit elle ne les portait pas. Elle se maquillait, juste sobrement. Ses tenues vestimentaires étaient toujours élégantes tout en restant, elles aussi, sobres. Claire était une étudiante appliquée à l’époque. Sérieuse, consciencieuse. Et elle était tellement réservée, secrète. Elle ne parlait pas pour ne rien dire. A la limite de paraître… froide, au premier abord.
Claire n’a pas mis de temps à me plaire. Je ne lui ai pas résisté longtemps. C’est aussi simple que ça. Ce sont sa personnalité et sa beauté combinées qui ont attiré mon attention chez la jeune étudiante qu’elle était à ce moment-là.
Quand on était en cours, que ce fusse dans un amphithéâtre, que ce fusse dans des salles plus petites, Claire se plaçait toujours au premier rang. Et elle était aux côtés de ses amies. Toutes ces filles étaient décidément inséparables! Elles étaient toujours ensemble. C’était aussi simple que ça. En cours, Claire était comme dans la vie de tous les jours. Oui, elle était une étudiante sérieuse, bien sous tous rapports. Mais non, elle ne parlait jamais pour ne rien dire. Elle était comme ça, Claire, tout simplement. Non. On ne l’entendait pas beaucoup.
La première fois où nous nous sommes parlés, Claire et moi, je m’en souviens bien, même encore aujourd’hui, dix ans après. C’était à un moment où ni elle ni moi n’avions cours. Elle était comme d’habitude avec ses amies. C’était au rez-de-chaussée du bâtiment où la plupart de nos cours avaient lieu. Ces jeunes femmes consommaient chacune une boisson chaude près des distributeurs automatiques de boissons froides, de boissons chaudes et autres snacks. Je me suis payé un thé à la menthe, pour ma part. Je me suis installé ensuite tranquillement sur un siège à proximité. Je me suis détendu en consommant mon thé bien chaud en attendant que mon prochain cours ait lieu. À un moment donné, mes yeux se sont posés sur elle…
Il ne pouvait pas en être autrement. Je rappelle qu’elle avait tout de suite capté mon attention, Claire. Et là, je ne la quittais pas du regard. Je l’ai mangée… Non! Je l’ai dévorée des yeux. Elle était élégante. Mais ce qui m’a le plus frappé, c’était son comportement. Ce n’était pas la même Claire qui était dans ma ligne de mire. C’était une tout autre jeune femme, ma parole! Elle parlait avec entrain, de manière animée et expressive à ses copines. De là où j’étais, je n’avais aucune idée de ce que ces nanas pouvaient se dire. En revanche, je savais que j’étais hypnotisé par la beauté et par la joie de vivre de Claire.
Plus le temps a avancé, moins mon attirance pour Claire a faibli, diminué en intensité. Ça a été tout le contraire, pendant ces quelques années où nous avons été collègues de promotion à l’université de Rouen. Pendant ces quelques années, la jeune et jolie étudiante brune s’est invitée dans mes rêves et elle s’est mise, sans le savoir, à devenir l’objet de mes désirs et de mes obsessions. Je ne sais combien de fois je me suis imaginé être son compagnon et la serrer dans mes bras, l’embrasser à pleine bouche et la toucher. Je n’ai aucune idée du nombre de fois où je nous ai imaginés dans un lit ou sur un canapé et à y faire l’amour, y… baiser et à y tout donner. Combien de fois ai-je osé voir plus loin et à me projeter dans le futur? Toutes ces fois où je me suis imaginé dire oui à Claire, que ce fusse à l’église, que ce fusse à la mairie…
Mais… Mais. Claire était tellement discrète et secrète… Il fallait que je marche sur des œufs pour ne pas qu’elle ait peur, pour éviter qu’elle s’enfuisse et qu’elle m’échappe. Si elle avait détecté un quelconque signe de mon intérêt pour elle, Claire aurait hissé la voile et pris le large. J’en suis persuadé, aujourd’hui encore.
Et… Malheureusement… J’ai été incapable de maintenir ce cap. Car de fil en aiguille, mon attirance pour la jeune femme a viré à l’obsession. Claire occupait mes pensée sans cesse et elle n’avait plus envie de quitter le cortex coquin chaud de mon cerveau. Plus le temps a passé pendant ces années université, plus mes sentiments pour l’étudiante se sont cristallisés. Il n’y avait que Claire dans mon corps, dans mon cœur et dans ma tête. C’était intense, ce que je ressentais pour elle. Plus le temps a passé, plus il m’est devenu de plus en plus difficile de me taire, de cacher mon attirance et mes sentiments pour la jeune étudiante qu’était Claire dans ces années 2012-2015. J’ai fini par céder, au final. Oui…
Et un jour, au tout début de ma seconde année de Master enseignement anglais, n’y tenant plus, j’ai fini par ouvrir mon cœur à Claire et à lui avouer mes sentiments. Nous étions dans le hall du campus universitaire, elle comme moi. Elle était avec des amies. Je l’ai prise à part et, les yeux dans les yeux, je lui ai confessé mon attirance pour elle. Les yeux dans les yeux, émue, elle m’a dit être touchée mais qu’elle était… désolée. Désolée que ce qu’elle ressentait pour moi n’était pas ce que je ressentais pour elle. Elle, de l’amitié pour moi. Moi, de… l’amour pour elle.
Pendant cette année où Claire est revenue en France, j’étais donc en seconde année de Master enseignement anglais, la jeune femme, elle, avait commencé le même cursus, mais en première année. Ça a été ce qui a fait que nous nous sommes de nouveau de nouveau croisés pas mal dans les couloirs du campus de la fac, Claire et moi. Et… Ça a été ce qui a fait que mon attirance… et mes sentiments pour l’étudiante se sont tout sauf atténués. J’avais conscience que Claire n’était pas attirée, suite à la déclaration que
je lui avais fait. Je savais qu’il fallait que je me fasse une raison, une fois pour toutes.
Et pourtant… Je n’ai jamais été capable de retenir la leçon de ce qu’il s’était passé, juste après le retour de Claire d’Angleterre. J’aurais dû.
A l’été 2015, pour des raisons qui m’ont été personnelles, j’ai décidé de mettre un terme à mon cursus. Ça ne me plaisait plus. Je ne m’y retrouvais plus et je ne me voyais plus devenir professeur d’anglais en collège ou bien en lycée; J’ai donc choisi de changer d’avenir professionnel. J’ai rempli un dossier afin de pouvoir intégrer une licence professionnelle guide-conférencier. Oui. Je voulais devenir guide touristique, revenir à mes premières amours: le tourisme, le contact avec les gens entre autres. Je me suis porté candidat auprès de différentes universités: Nanterre, Marne la Vallée, Arras, Saumur, Boulogne sur Mer. Et ça a été finalement l’Université du Littoral Côte d’Opale qui a accepté mon dossier de candidature et qui l’a validé. Ça a été ainsi que j’ai quitté ma Normandie natale et que j’ai posé mes valises dans le Pas de Calais, sur la Côte d’Opale, à Boulogne sur Mer. Ça a été ainsi que peu de temps avant que je parte, j’ai ressenti le besoin, l’envie de retenter ma chance avec Claire, qu’elle m’accorde une dernière chance de lui plaire… et de la séduire. Ça a été la tentative de trop, un désastre au final. L’homme de trente-et-un an que je suis aujourd’hui reconnaît que celui que j’ai été à vingt-quatre ans n’aurait jamais dû prendre cette décision, prendre le risque.
Sept ans plus tard, donc, voilà que nous nous retrouvons. Pendant ces sept longues années, nous ne nous sommes jamais revus, jamais adressés la parole. Et là, à l’occasion d’un séminaire organisé par la direction générale de la compagnie pour laquelle Claire et moi travaillons et je l’apprends, mon ancienne camarade de promotion a refait son apparition dans ma vie. Et… J’ai refait mon apparition dans la sienne. Sept ans se sont écoulés depuis ma dernière tentative, depuis mon ultime déclaration d’amour. Quand je suis entré dans le champ de vision de Claire, j’ai tout de suite décelé des éclairs de colère dans ses yeux. Ça ne lui a pas plu le moins du monde de me revoir.
Dire que les premiers regards ont été hostiles entre Claire et moi à l’occasion de ces retrouvailles imprévues… Ça a été un euphémisme. Si Claire avait pu me jeter des éclairs de ses yeux et me foudroyer avec, elle l’aurait fait. Me revoir sept ans après, au départ, elle s’en serait bien passée. Ça a été tendu entre nous. Elle comme moi, nous avons été gênés de nous retrouver dans le même espace, proches l’un de l’autre.
Le séminaire que notre compagnie a organisé porte sur le bilan de la haute saison qui s’est conclue il y a peu, les statistiques et les chiffres, les objectifs à atteindre dans les mois futurs. Assis dans la salle de réunion, attentifs, sérieux et consciencieux, occupés à prendre des notes, je n’ai pas pu m’empêcher de regarder dans la direction de Claire. Non seulement elle savait rester toujours autant élégamment habillée, mais j’ai trouvé qu’elle avait gagné en beauté avec les années.
Puis est venue dans l’histoire la pause de dix heures. Pour les participants… et les participantes de ce séminaire, une pause a été organisée avec café, thé, jus de fruits et viennoiseries. Pour certains d’entre nous, nous avons préféré sortir pour prendre l’air. Pour certains, il leur a fallu passer un coup de téléphone. Pour d’autres, comme pour moi par exemple, ça a été l’occasion de fumer une cigarette. Ça a été précisément dans ce contexte où, Claire et moi, nous nous sommes retrouvés. Mais, et je m’en étais douté: mon ex-camarade de promotion a été toute sauf contente de me revoir. C’était compréhensible, bien sûr. Mais sept ans s’étaient passés, depuis, quand même!
Je me suis approché de Claire mais je l’ai fait sans la prendre au dépourvu et sans lui sauter dessus. Ne me souvenant que trop bien de ce qu’il s’était passé pendant nos années université, je n’avais pas envie de faire de Claire une femme à jamais hostile envers moi. Quoique… En y réfléchissant lorsque je prends du recul, Claire était hostile, en ce qui me concernait. Et le moins que l’on puisse dire, ça a été que nos retrouvailles n’ont rien laissé espérer de bon. Ça n’a pas été faute, pourtant, de m’y être préparé.
– Bonjour Claire.
– Bonjour Benoit.
– Quelle surprise. Je m’attendais pas à te voir ici. Mais je suis content de te…
– Excuse-moi, Benoit, mais je t’arrête tout de suite. Je suis ici pour le séminaire de la boîte. J’ai pas la moindre intention de faire copine-copain avec toi. Alors je te demanderai de pas m’adresser la parole. Et pour éviter que ça se produise, on fait tout pour pas avoir à se croiser, d’accord?
Sur ces mots, Claire m’a planté là et elle est rentrée dans le bâtiment où notre séminaire avait lieu. Le moins que l’on puisse dire, c’est que nos retrouvailles ont commencé sous de mauvais auspices.
Le séminaire se passe sur plusieurs jours. Nous sommes logés dans la même ville, dans différents hôtels appartenant à notre groupe. Quelle a été ma… surprise, le soir du premier jour, lorsque je me suis rendu à l’hôtel où j’avais une chambre réservée, afin de procéder à mon check-in: à mon arrivée pour simplifier les choses, dans notre jargon de l’hôtellerie. Pourquoi une surprise? Claire se tenait à l’entrée de l’hôtel. Elle était en train de fumer une cigarette tout en ayant les yeux braqués sur l’écran de son téléphone. Claire qui fumait une cigarette? Et… Claire qui dormait dans l’hôtel où j’allais séjourner?
J’avoue que je n’en ai mené pas large, en la voyant. Si seulement j’avais imaginé, ne serait-ce qu’un tout petit peu, la tournure des évènements… C’était inattendu, ni plus, ni moins, pour moi. Qui aurait pu imaginer ça, déjà, dès le départ, dès le moment où nos regards se sont croisés, à elle et à moi? Qu’est-ce que j’allais faire? Attendre qu’elle termine de griller sa clope et qu’elle rentre? Lui faire face et rentrer à l’intérieur? Il fallait que je trouve une solution. C’était aussi simple que ça. Et la solution en question que j’ai trouvée, ni une, ni deux, ça a été mais…
J’ai sorti mon paquet de cigarillos. Un petit plaisir de la vie que je m’autorise. Des cigarillos avec filtre, aromatisés à la vanille. Un de temps en temps. Un petit plaisir personnel. Et quand j’ai aperçu Claire qui fumait sa cigarette… Ça a fait tilt tout de suite dans ma tête. Je sais… C’était un prétexte. Mais elle était là, Claire. L’opportunité de lui adresser la parole n’en était que meilleure. Il fallait que je la saisisse dès lors, cette opportunité qui m’était servie sur un plateau.
Je me suis avancé vers l’entrée de l’hôtel. Je m’y suis rendu mais sans me précipiter. Au regard de nos premières retrouvailles qui avaient eu lieu le matin même, si je m’étais précipité sur Claire, elle n’aurait pas vu ça du tout d’un bon œil et elle m’aurait fui comme la peste. Il fallait que je sois subtil dans mon approche, tout simplement.
Bon d’accord… Quand on y réfléchit… Elle n’a pas été très subtile, mon approche. C’est le moins que l’on puisse dire. J’ai fait mine de ne pas réussir à mettre la main sur mon briquet. Mon cigarillo en bouche, j’ai fait semblant de chercher désespérement mon briquet dans mes poches. J’avais le cul entre deux chaises. Ne pas me faire griller mais dans le même temps, me faire remarquer par Claire…
Claire n’est pas dupe. Elle n’est pas idiote. Elle est toute sauf ça. Et quand elle a vu que je m’approchais d’elle, j’ai vu des éclairs dans ses yeux.
– Benoit. Je t’ai prévenu. Je veux pas t’adresser la parole. Va t’en.
– Claire… Juste… Aurais-tu du feu, s’il te plaît? Juste… Du feu, c’est tout. Et promis, je te laisse tranquille.
Inutile de préciser que je n’en pensais pas moins…