LA FILLE QUI VOULAIT VOIR LA MER (6)
Ce matin, on fait escale à Barcelone.
Carole nous fait venir, Lucia et moi, pour nous dire :
— J’hésite… normalement, vous devriez dormir ici et aller à terre la journée.
On est suspendues à ces lèvres… Je prends la main de Lucia et je la serre.
Carole continue :
— D’un autre côté, je peux avoir besoin de vous la nuit et le matin.
Lucia essaie de l’influencer :
— S’il vous plaît Mademoiselle Carole…
Je m’y mets aussi :
— Oui Mademoiselle, vous pouvez avoir besoin de vos servantes, la nuit.
Je vois que la façon dont je l’ai dit lui plaît. Elle fait semblant de réfléchir un peu, puis nous répond :
— D’accord, mais… vous dormirez à l’hôtel, mais vous n’y mangerez pas.
Lucia me pousse et on dit en chœur :
— Merci Mademoiselle.
J’ajouterais bien « vous êtes un ange », mais elle croirait que je fiche d’elle. Et ce serait le cas.
***
Barcelone
Voilà, on débarque, le soleil se couche et la ville est auréolée d’une lumière orange…
Ils ont retenu des chambres dans un bel hôtel avec vue sur la mer. On ne va pas devoir servir à table… Oui, mais on est toujours les bonnes, et demain, on devra faire des courses avec Carole. En plus, notre chambre est évidemment à l’arrière, les pauvres n’ont pas droit à la vue sur la mer !
Ce soir, nous avons quartier libre, Lucia et moi. On peut enfin s’habiller normalement, pour l’été à Barcelone. Un short noir pour elle, un short en jean pour moi. Et puis toutes les deux un tee-shirt sans manches. Et on peut se maquiller ! Sur le bateau, c’est interdit, Carole nous l’a aimablement signifié :
— Vous êtes des servantes, pas des putes.
Lucia s’est un peu renseignée auprès des hommes d’équipage, ils lui ont conseillé d’aller dans le quartier des Las Remblas.
C’est là qu’ils vont aussi et ils ont des adresses. Ils vont certainement voir des filles… à matelot.
Franck le mercenaire doit rester sur le bateau en compagnie de sa kalachnikov.
À la réception, un employé nous explique que nous n’avons qu’à suivre le bord de mer pour arriver aux Ramblas. Ce n’est pas très loin. Qu’est-ce que ça fait du bien d’être sur un sol qui ne bouge pas sans arrêt ! Je prends la main de Lucia, ça me rassure, comme vous savez. Elle me regarde en souriant et en secouant la tête, genre « quelle gamine ! » Si elle savait ce qu’on fait en rêve, elle ne dirait pas ça !
On arrive bientôt sur La Rambla, une grande avenue où il y a beaucoup de magasins et des petits restaurants. Dans les rues adjacentes, il y a des bars plus ou moins louches et quantités de filles vêtues un tout petit peu comme nous. Des prostitutas, comme on dit ici. Notez qu’il y a un mot plus court…
Il y a une chouette ambiance, jeune et décontractée. Ça change du yacht où j’ai tout le temps peur de faire une bêtise.
On se fait beaucoup draguer. Je me rends compte que j’ai oublié de prendre mon passeport et de l’argent. Je dis à Lucia :
— Dis, j’ai complètement oublié de prendre du fric et mes papiers.
Elle me dit :
— Madame les garde et elle nous les donnera en fin de croisière !
— Mais, on n’a pas d’argent !
— On va se faire inviter. Fais comme moi.
On regarde les cartes qui sont exposées devant les terrasses, en se penchant en avant pour mettre nos formes en valeur. Elle ose tout, Lucia.
Elle me dit un truc et éclate de rire. On se fait bien remarquer ! Des garçons nous font signe de venir à leur table… Elle leur dit :
— On fait d’abord un tour.
Et puis un jeune homme, métis comme elle, vient vers nous. Il s’adresse à Lucia :
— Holla, hermana.
Elle répond :
— Tu parles français ?
— Oui, tu es d’où ?
— Sainte Lucie, et toi ?
— Basse Terre.
J’ai envie de dire « et moi du 9.4 », mais je crois qu’ils s’en foutent.
Ils s’embrassent et se mettent à parler créole à toute allure. Je ne comprends rien.
Enfin, Lucia se tourne vers moi pour m’annoncer :
— On va rejoindre ses amis sur la plage. On mangera avec eux.
Cool… J’ai faim et, encore une fois, j’adore la plage et la mer.
On redescend la Rambla jusqu’à cette plage. Ils sont toute une bande de garçons et de filles. On nous embrasse. Ils ont du vin rose pétillant, des tapas dans des petites barquettes. Ce sont des étudiants en vacances. Un garçon blond me plaît… On se fait des sourires, il me demande :
— Tu es en vacances avec ta copine ?
Je jette un coup d’oeil à Lucia. Elle a la langue de son frère des Antilles dans la bouche. Dès qu’il en sort, elle voit que je la regarde d’un air affolé. Elle me dit :
— Quoi ?
— Mais… euh… j’expliquais qu’on n’est pas vraiment en vacances et…
Tout le monde écoute. Lucia ne cherche pas à leur cacher la vérité :
— Mona et moi, on travaille sur un yacht qui fait le tour du monde.
Exclamations des jeunes, genre « C’est super ! »
Une fille demande :
— Et vous faites quoi sur ce yacht ?
— On est les femmes de chambre de gens pleins de fric.
Ils n’ont pas l’air de trouver ça… dégradant. Le nouveau copain de Lucia fait remarquer :
— C’est cool, vous voyagez gratuitement.
Après tout, c’est vrai. Femme de chambre, ce n’est pas déshonorant. J’aimerais quand même mieux avoir un job où j’ai vue sur mer quand je descends à l’hôtel.
Tout se passe bien, on mange, on boit, on danse, on roule des pelles. Pour tout dire, je suis un peu jalouse de voir « mon » amie flirter outrageusement, même si je fais la même chose. Le vin catalan me change les idées.
Tard dans la soirée, Lucia me dit :
— Je passe la nuit avec Jérôme. Je viendrai demain à 7 h.. On doit faire des courses avec Carole.
Et moi !? Heureusement, le jeune blond me reconduit à l’hôtel. C’est gentil, j’en ai les larmes aux yeux. Je pleurniche déjà facilement à jeun, alors quand j’ai bu, c’est vite les grandes eaux. Il voudrait monter dans ma chambre, mais je lui dis que je n’ose pas à cause de nos patrons.
Dans la chambre, je fais pipi et puis je veux me démaquiller. Le problème, c’est que je suis face à quatre yeux rouges… C’est deux de trop ! Je me couche et je m’endors.
Je n’entends pas Alicia rentrer pour se coucher.
Le lendemain, à 7 h, son réveil sonne. On n’est pas fraîches. Je lui demande :
— Et alors, comme c’était ?
— Pas mal… Tu fais la tête ?
— Non… Enfin, tu m’as quand même bien larguée.
— On n’allait pas faire ça à trois, Mona.
— Oui… c’est vrai, excuse-moi. Je tiens trop à toi.
— Arrête, tu vas de nouveau pleurer.
On enfile nos vêtements d’hier, la toilette sera pour après le petit déjeuner. Il nous faut du café. On va dans la salle à manger. Les employés nous regardent comme si on était des squatteuses qui essaient de manger à l’oeil. Lucia montre notre clef et dit :
— Nous sommes avec Monsieur Falken.
Ouf, grâce à ça, on ne nous jette pas à la rue. On a même droit à un super petit déjeuner : pain, oeufs bruoiullés, gâteaux, jus d’orange, café et nous allons manger sur la terrasse. Là, on voit la mer, comme les riches. Nous nous goinfrons… Il faut dire qu’hier, on a plus bu que mangé.
On paresse au soleil, en buvant du café… Bien sûr, ça ne dure pas. Je sens le danger arriver. Aïe ! C’est Carole qui se dresse devant nous, elle est tombée de son lit ? On se lève aussitôt, pour dire presque ensemble :
— Bonjour Mademoiselle.
Pas de bonjour de sa part, elle répond seulement :
— Je vais faire des courses. Mettez vos uniformes, pas des shorts de putes et sans le tablier.
Ça fait rire les gens à côté de nous, car ils comprennent le français.
Carole ajoute :
— Vous avez cinq minutes.
On va vite se changer. Dans ce quartier chic, on remarque d’autres bonnes qui font des courses en uniforme, ce n’est pas comme à Paris.
On prend un taxi qui nous dépose Plaça Catalunya. C’est l’endroit où il y a le plus de magasins de luxe. Carole achète des vêtements, des chaussures (quelle chance elle a, j’adore acheter des chaussures), de la parfumerie, des gadgets… Nous, on suit en portant les paquets… Elle est comme le chef d’une caravane d’esclaves qui la suivent en portant ses achats. Je râle sur l’injustice du monde. Pourquoi elle a tout ce qu’elle veut et nous rien ? Simplement parce que sa garce de mère s’est fait engrosser par sa limace de père. La gueule de bois n’arrange pas mon humeur. Elle achète plein de choses et nous, on la regarde faire, comme des pauvres qui regardent manger des riches, derrière la vitre d’un restaurant, un soir de réveillon.
Si on travaille assez longtemps sur le yacht, on pourra aussi s’acheter les fringues, mais jamais je ne pourrai me payer des Louboutin.
La voix de Carole m’arrache à ma rêverie morose :
— Tu veux une bonne raison de faire la tête ?
— NON ! Pardon Mademoiselle, je… j’ai un peu trop bu hier et…
Elle ne m’écoute pas. On empile tous ses achats dans un taxi et on rentre à l’hôtel. À nouveau, on forme une caravane, elle devant les mains dans les poches (c’est une image) et nous derrière, comme deux petits ânes chargés de sacs de grains. On va dans sa chambre.
Hier, elle nous a laissées libres l’après-midi et la soirée, mais c’est exceptionnel. Aujourd’hui, elle voudra sûrement nous avoir à portée d’un claquement de doigts pour satisfaire un caprice ou l’autre.
Lucia me dit :
— Sois gentille Mona, je dois parler à Mademoiselle Carole, va sur la terrasse.
Oh ! Mais, pourquoi… Lucia hausse le ton :
— Bouge !
Je vais sur la terrasse où je la regarde discuter avec Carole. D’abord, celle-ci fait énergiquement non de la tête. Lucia lui prend les mains et la supplie, manifestement. Carole soupire en levant les yeux au ciel.
A suivre.
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