Le lendemain, a enfin débuté le travail en studio. C’était un groupe que je connaissais, Human Desire, local mais qui avait acquis un renom international, un mélange de blues et de jazz, avec une pointe de rock. Ils se sont calés pour enregistrer, dans le local insonorisé, et moi derrière avec Daniel. Qui commentait tout ce qu’il faisait. J’ai vraiment été impressionnée par son savoir-faire immense. Il avait beaucoup à apprendre, et ça ne le gênait pas de transmettre son savoir, contrairement à d’autres qui voulaient le conserver jalousement. J’ai passé des journées passionnantes.
Très vite j’ai pris conscience que ce séjour, qui m’avait apparu comme une éternité, serait bien trop court, et que, quoi que je fasse, même avec la volonté de faire durer les choses, et de profiter de chaque seconde, tout était destiné à s’envoler, de manière radicale, sans espoir de retour.
J’avais plusieurs pôles d’intérêt, entre lesquels je me partageais. Il y avait le studio, il y avait le passé, quand le passage était ouvert, et il y avait l’épouse de Daniel, qui me couvait du regard, et qui venait me rejoindre dans ma chambre quand elle était libre, pour un moment de plaisir lesbien comme je n’en avais jamais connu. Autant de souvenirs intenses à ramener en France. Autant d’épisodes qui tournaient et tourneraient dans ma tête et que je pourrais évoquer en me masturbant. Le simple plaisir de s’embrasser, mais des baisers intenses, comme, là non plus, je n’avais jamais connus, deux bouches qui ne se séparent plus, qui restent collées, des dents qui viennent mordre une lèvre, deux langues qui s’accrochent et qui se caressent mutuellement, quasiment jusqu’à l’orgasme…Et puis des moments plus sexués, encore que ces moments de baisers pouvaient me conduire au bord de la jouissance…A d’autres moments, elle me donnait ses seins, elle se dépoitraillait, soulevait un T-shirt, dégrafait un soutien-gorge, et ils étaient là, pour que je joue avec. Moment d’une rare intensité, où je faisais ce que j’avais envie de faire, en toute liberté, caresser le volume impeccable de sa poitrine, prendre un sein dans ma bouche, en avaler autant que je pouvais, puis resserrer la caresse sur un téton, que je mordais, ou que je pinçais, ou que je frôlais de la pointe de ma langue, venir tourner sur une aréole. En même temps je glissais ma main dans son slip, et je sentais un véritable Niagara de sécrétions qui venait se déverser contre ma main, puis débordait.
Il y avait eu aussi ce moment vraiment délicieux, où elle m’avait entraîné sur le lit, après avoir enlevé son leggings et sa culotte, et m’avoir déshabillé de la sorte. Elle s’était calée face à moi, mais le bas du corps tordu, de telle manière que nos sexes soient collés l’un à l’autre. Je sentais le poids de sa chatte, ses lèvres, son gland clitoridien, et elle, elle avait les mêmes sensations. On s’arrosait mutuellement de nos jus. Les siens venaient couler sur mes replis, le long de ma chair, dans ma raie, en moi…Et c’était vrai dans d’autres sens. Nos liquides se mêlaient, une manière de pousser l’imbrication plus loin. Accrochée à moi par une main, elle s’est mise à bouger très doucement. J’avais déjà connu de tels moments, mais d’évidence pas aussi concluants que celui-là. Un sexe de fille qui caresse un autre sexe de fille, c’est délicieux, et ça l’est avec une fille qui a une chatte somptueuse, qui t’enveloppe, te prend, te gaine…Le plaisir a été vite très fort pour moi, mais elle ne valait pas mieux, gémissant…On dégoulinait sur le corps de l’autre, et notre plaisir prenait plus d’épaisseur à l’image de nos lèvres et nos glands clitoridiens qui en prenaient tout autant. Elle s’est interrompue, au bord de la jouissance, je ne valais pas mieux, et elle m’a laissé enchaîner, venant faire bouger mon pubis pour la caresser, en appuyant sur ces parties ultra-sensibles. Ce qui m’a plu dans cet exercice, que nous avons renouvelé, c’est que nous avons joui ensemble, au même moment, et de manière identique, avec plusieurs orgasmes d’affilée. On s’arrêtait quand nos chairs nous faisaient mal, et qu’elles étaient sèches, nos réserves de liquides vidées.
Je descendais quasiment chaque fois que le passage se libérait, y compris au milieu de la nuit pour voir la ravissante jeune femme, dans son monde. C’était curieux car parfois, elle me voyait, parfois elle ne me voyait pas. Et puis je me dissimulais pour pouvoir l’observer en toute liberté. Ses déambulations, nue, ses moments avec sa copine, qui partageait sa couche quand elle était seule, leurs moments de tendresse, et de réconfort partagé, qui débouchaient vite sur des plaisirs qui n’étaient pas gratuits, mais un moyen d’oublier.
Et puis il y a eu ce moment, terrible, où j’ai vu l’homme qui l’avait mise là lui rendre visite. La toute première fois où mon regard s’est posé sur lui, la jeune femme était à quatre pattes sur le lit, totalement nue, et lui, avec juste une chemise sur le dos, au-dessus d’elle, la fouillait d’une queue très volumineuse, enveloppée d’un préservatif. Il la besognait, sans ménagements pour elle, à la recherche de la jouissance…En tournant autour d’eux, elle ne me voyait pas à ce moment-là, j’ai constaté sans surprise qu’il y avait sur son visage un mélange plus qu’explicite de dégoût, de lassitude et de tristesse. C’était clair, même si elle dépendait de lui, et même s’il l’avait mise à l’abri, elle n’appréciait pas de devoir payer avec son corps. Elle le laissait prendre son plaisir à contrecœur.
Il a fini par s’arracher d’elle. Faisant glisser le préservatif qui enveloppait sa queue, il a fait deux ou trois aller-retours sur sa queue, et un torrent de sperme est venu poisser son dos et ses fesses.
–Il faut que je parte, il a dit, glissant du lit, se parlant à lui-même plus qu’à elle. Tu as besoin de quelque chose ?
Il ne s’agissait pas de sa part de sollicitude, d’ailleurs il ne la regardait même pas en s’habillant, mais plutôt d’une manière de payer pour ce qu’elle lui offrait.
–Tout va très bien pour moi.
–Je passerai samedi en fin d’après-midi, je serai libre normalement.
–Je serai là.
–Je me doute bien que tu seras là. Je ne vois pas où tu pourrais être.
Je crois que c’est à moment-là que j’ai commencé à y penser.
Les jours ont glissé. Le groupe est parti, le lendemain, Daniel a retravaillé les enregistrements, en me donnant, là encore, une foule d’indications. Je ne serais pas venue pour rien. De retour en France, je pourrais capitaliser sur tout ce que j’avais acquis. J’avais pris des notes sur un petit carnet. Ce n’était pas forcément l’héritage de toute une vie, mais en tout cas l’expérience de quelqu’un qui était au sommet de son art, qui s’était remis constamment en cause, sans jamais rien prendre pour acquis, Je rentrerais en France autre, riche de tout ce qu’il avait bien voulu me transmettre. C’était en tout cas quelqu’un de très humble, et qui n’hésitait pas à donner tout ce qu’il avait appris.
Je redescendais dès que le passage s’ouvrait. Je voulais la voir encore. Il se passait quelque chose de très étrange en moi. Je vivais la situation la plus irréelle qui soit. Elle était dans un autre temps…J’aurais dit les année quarante. Je venais soixante-dix ans après. Nous appartenions à deux époques temporelles différentes. Et je m’étais épris d’elle. J’étais tombé amoureuse d’elle. Horrifié qui plus était par ce qu’elle vivait, et qui devait être pourtant une situation courante à cette époque. Elle était une chose aux mains de l’homme qui l’avait mise là. Un objet qui lui donnait du plaisir quand il en avait envie. Et rien de plus. Même si son sort était quand même enviable, comparé à celui des autres filles noires de son époque. Fussent-elles métisses…
Et j’avais cette idée en moi. Idée qui était tout sauf réaliste. Mais j’étais convaincue qu’ici, dans ce creuset, tout était possible.
C’est pour cela que je suis retournée voir la femme de la boutique.
–Je savais que je te reverrais, elle m’a dit.
J’avais le sentiment qu’elle pouvait lire en moi, et que ce que je lui dirais, elle le savait déjà. Malgré tout, j’ai quand même parlé.
–Je voudrais faire venir quelqu’un à moi.
–Tu veux un filtre d’amour ?
–C’est un peu ça, mais il faudrait qu’il marche à travers le temps. C’est quelqu’un qui appartient à une autre époque.
Elle m’a regardé d’un air soupçonneux.
–Et tu es sûre que cette personne…
–Je n’en ai aucune idée…Si elle est encore vivante, elle est certainement très âgée.
Elle a semblé réfléchir, avant de me dire :
–Ce n’est pas forcément un problème…On est quelqu’un à un temps X et pas le même au temps X plus 1…
–Je n’ai jamais été bonne en maths…
–A La Nouvelle-Orléans tout est possible. Y compris ce qui n’est pas possible ailleurs.
Elle s’est plongée dans une profonde réflexion, totalement déconnectée de la réalité.
–Est-ce que la personne que tu souhaites faire venir à toi est consciente de ta présence ?
–Elle sait que je suis là. Je lui apparais et elle m’apparaît. Elle me voit.
Elle a disparu dans son arrière-boutique. Pour revenir finalement avec une feuille de papier et une fiole.
–Je vais te dire ce que tu dois faire. Quand elle t’apparaît, et seulement quand elle t’apparaît et qu’elle te regarde, qu’elle vient à toi, pas quand tu la vois, tu liras cette formule. C’est du latin. Tu la liras une fois. Et si ça ne marche pas, tu jettes ce liquide dans ta direction. Tu me dois dix dollars…
J’ai eu envie de lui répondre que ça n’était pas cher pour ce qu’elle me donnait.
C’est au repas, à midi, que j’ai posé la question qui me taraudait :
–Et comment ça s’est fini pour cette sorte de clandé, dans les années 40 ?
–En 1955, l’un des hommes qui y avait sa courtisane l’a tuée. En d’autres temps, l’affaire aurait été étouffée, mais il y avait les prémisses des mouvements civiques…L’affaire Emmett Till venait de frapper l’opinion. On n’a jamais su ce que les filles sont devenues. Certaines sont parties dans le Nord, d’autres sont restées ici…Elles ont peut-être changé de vie, ou elles ont continué sur la même ligne d’une manière plus discrète.
J’ai frémi en songeant que c’était peut-être elle qui avait été assassinée…Je préférais ne pas en savoir plus…Ici, tout était possible, et quelque chose au plus profond de moi me disait que ce que je faisais était bien.
On est arrivés au milieu de la deuxième semaine. J’avais un but à présent, et il était clairement établi dans ma tête. Aussi fou soit-il.
Je retournais vers elle régulièrement. Je ne l’avais pas revue avec celui qui l’avait enchaînée dans cette maison…Des chaînes invisibles…La regarder, c’était avoir le sentiment qu’elle s’étiolait, petit à petit. Son seul refuge, c’étaient les bras de son amie, et le plaisir qu’elles avaient ensemble.
Elle aussi, elle venait me voir. De plus en plus souvent même. Elle me regardait avec curiosité. Elle apparaissait quand j’étais seule. J’essayais de lui parler, et elle de me répondre, mais, alors que, quand j’accédais à son monde, je comprenais tout, il ne ressortait de sa bouche que des sons tordus et incompréhensibles.
Ca s’est passé deux jours avant que je rentre. J’hésitais. Le sentiment de casser toutes les règles établies. Même si j’étais arrivée à me dire qu’au final, ce n’était pas l’ordre qui régnait, mais bien le chaos.
J’étais sur mon lit, et je me caressais. Aretha était passée en début d’après-midi. Ces moments de sexe, intenses, que j’avais trouvés ici, je n’avais pas espéré les trouver. Pas plus d’ailleurs que ce contact avec un autre temps. C’était certain, je repartirais totalement changée, et riche d’une expérience que je n’avais pas pensé trouver…Dire que j’étais juste venue pour améliorer mon travail d’ingénieur son.
Je repensais à ce moment avec elle, et je me donnais du plaisir. J’espérais qu’elle me rejoindrait, mais sans aucune certitude.
Et puis la jeune femme m’est apparue. Elle était tout près de moi. Nue comme à l’accoutumée. Il y avait dans son expression un mélange de curiosité, de tristesse, d’envie…
J’ai su que c’était le moment. Mon sac à main était à côté du lit, et, faute d’une cachette sûre, j’y avais laissé le papier et la fiole.
J’ai roulé sur le lit pour les attraper, avant de revenir vers elle. Je craignais qu’elle ne disparaisse. J’ai lu les quatre lignes…A ce moment-là, il s’est passé quelque chose de vraiment étrange. Enfin pas à la Nouvelle-Orléans. Il y a eu une chaleur intense dans la pièce, qui jusqu’à présent était fraîche. Un souffle de chaleur, et l’air a pris un aspect étrange. Sur une large zone, pile face à moi, il été agité par des vagues…C’était impressionnant…
Pensant que j’avais loupé mon coup, j’ai attrapé la fiole, et j’ai jeté son contenu sur elle. Il aurait dû la traverser, mais le liquide s’est étalé sur elle…
L’espace où elle se trouvait n’était pas concerné par ce phénomène, il n’était pas agité par des vagues, mais au contraire, lisse.
Elle a avancé vers moi. J’ai tendu la main. Et elle l’a prise. J’ai senti l’épaisseur de sa main, sa chaleur.
Elle s’est précipitée dans mes bras pour s’y blottir.
MOT PUBLIE PAR JANINE SUR SA PAGE
Bonjour à tous
Je sais que vous suivez tous mes aventures à la Nouvelle-Orléans sur ce site. Comme je l’avais promis, je vous ai abreuvé de photos et de commentaires.
Je ne rentrerai pas en France dans l’immédiat.
J’ai fait des rencontres exceptionnelles ici. Une plus que les autres.
Je vais profiter encore quelques temps de la vie américaine en compagnie de quelqu’un qui vient de loin et surtout qui revient de loin.
C’est une personne unique, une rencontre comme on n’en fait qu’un fois dans sa vie, aussi bien pour ce qu’elle est que pour ce qu’elle a vécu.
C’est une personne surtout qui m’est déjà très chère, avec qui je prends un plaisir infini à être, et que j’aide à se réadapter à un monde qui n’est pas le sien.
Je vous donnerai de mes nouvelles bientôt.