Tu savais que je savais, mais chacun de nous deux faisait mine de ne pas savoir…
Le regard parallèle au faisceau des phares qui trouait cette nuit de fin d’été, la chevelure ébouriffée dans le courant d’air, tu conduisais le cabriolet nerveusement, presque rageusement, et je devinais dans l’éclat de tes pupilles toute ton attente, toute cette impatience que, sans vouloir me l’avouer, je partageais aussi.
À côté de la route, la surface sombre du lac, polie comme un miroir, reflétait une gigantesque lune rouille qui ajoutait une note surnaturelle à la désolation d’alentour.
C’est dans cette atmosphère sinistre, et peut-être même à cause d’elle, que mon bas-ventre tout d’un coup s’est mis à chauffer et que, sans y prendre garde, je serrai plus fort mes jambes croisées comme pour me protéger de sensations que, dans le fond de moi-même, j’attendais mais que, dans ma conscience de femme élevée « comme il faut », je réprouvais.
Tu n’avais d’yeux que pour ta route et pourtant, mes deux mains entrelacées, posées sur le haut de mes cuisses comme pour empêcher ma jupe courte de s’envoler, auraient dû te faire appréhender le trouble profond dans lequel me mettait cette promenade sous la lune rousse.
Furtivement, pour que tu ne t’en aperçoives pas, je jetais des regards obliques vers ton profil figé, concentré au loin sur le bitume vers une destination que tu étais seul à connaître…
Mais tu ne répondais pas, pas un mot, pas un mouvement de tête.
Peut-être avais-tu aussi peur que moi ?
Non, ce n’était pas possible, toi, peur ? Tu connaissais cette route par cœur, tu l’avais maintes et maintes fois parcourue, de nuit et par tous les temps, et tu m’en avais vanté le charme.
C’est vrai qu’il faisait calme et chaud, et que tout incitait à ne penser qu’au repos.
Mais cet œil roux, posé sur nous et qui nous suivait obstinément, me plongeait dans un délicieux désarroi, accélérait les battements de mon cœur comme ceux d’une ingénue qu’une surprise attend et, sans que je n’y pusse rien opposer, attisait la brûlure qui inquiétait mon entrecuisses…
L’endroit où tu as parqué la voiture était apparemment désert, ponctué de rares arbustes et peuplé des petits animaux nocturnes dont le chant emplit l’espace dès le moteur arrêté.
Délassement et étirement des membres, le siège incliné m’invitait à me laisser aller complètement, mais tout de même, ce petit pincement au cœur, cette arrière-pensée d’angoisse indéfinissable qui ne voulaient pas me lâcher…
Jusqu’à ce que tu me regardes avec ces yeux brillants, dans lesquels je lisais un désir violent et pervers ; l’idée se faisait de plus en plus nette que tu m’avais préparé un dessert exceptionnel, et cela me rassura, enfin !
Tu m’avais si longtemps laissée dans l’inquiétude, non que je ne susse qu’il allait se passer quelque chose, je le savais depuis le début, mais bien de ce qui allait exactement se passer.
Et soudain, j’ai compris.
Je me suis détendue avec un long soupir venu du fond de mes entrailles, je t’ai enlacé, et, de ma bouche gourmande, ai commencé à taquiner tes dents, ta langue et tes gencives, comme pour te dire mon accord et ma volonté d’aller jusqu’au bout et de t’accompagner jusqu’à la fin du rêve…
Tu avais décidé de m’offrir à la lune rousse.
Tes mains me parcouraient, me dénudaient centimètre carré par centimètre carré, comme pour me préparer. Ta bouche explorait mon cou, suivait la courbe de mes épaules, humait les fragrances emprisonnées sous mes aisselles, s’insinuait sous mon débardeur à la recherche de mes seins douloureux d’attente, pointait une langue acérée dans le moindre pli, et me rapportait les effluves de mon propre corps que jamais je n’avais ainsi goûtées…
Des doigts timides frayaient leur chemin le long de mes jambes, caressaient les endroits les plus doux de mes cuisses sans oser s’aventurer trop loin, alors que, nue sous ma jupe, la corolle de la petite orchidée qui te fascine encore s’ourlait d’une odorante sève transparente.
Sacrifice charnel de tes sens exacerbés, ma peau humectée frissonnait dans la lumière blême, mes seins dardés s’offraient à la nuit et la lune ronde s’engouffrait dans l’écrin béant de mes jambes écartées…
L’officiant, c’était toi.
Les mains crispées sur les bords du siège, à m’en faire mal, je t’ai laissé enlever la jupe et le débardeur, lentement, doucement, pour ne pas rompre ce charme où tu avais su m’entraîner sans que je m’en rendisse compte et qui m’avait envoûtée si profondément que je ne pouvais que me laisser aller.
Cette impression de rêve…
Cette impression de ne plus être seuls, qu’ils sont là, regardent et attendent…
Cette impression qui s’est faite plus forte, plus présente, que l’offrande de ma vulnérabilité n’était pas destinée qu’à la lune rousse…
Et pourtant, je ne voyais personne d’autre que toi, que ta bouche, que tes yeux follets au-dessus de mon visage, je ne sentais que tes mains partout à la fois sur ma peau horripilée par toutes ces sensations qui s’entrechoquaient sans que je pusse y mettre un quelconque semblant d’ordre.
Je sentais monter cette vague de plaisir et de souffrance mêlés, tandis qu’enfin tu franchissais la frontière de mon abandon, et que, d’un doigt léger et aérien, tu parcourais ma petite tige dressée et trempée de cyprine, lentement, sur toute sa longueur. Ta bouche avide aspirait mes mamelons douloureux, consciencieusement l’un après l’autre, pour les maintenir dans cette monstrueuse érection qui me rendait folle.
Dans ma demi-inconscience, emportée par le flot de cette jouissance issue du fin fond de mon ventre, j’entendais tes ahans, amplifiés par l’écho de mon esprit évaporé, lorsque tu as brutalement écarté mes petites lèvres luisantes de ton bélier frémissant, et que tes puissants coups de boutoir fouillaient au plus profond de mon être. Nos respirations haletantes s’entrelaçaient de si près, ton regard convulsé exhalait un désir et une passion d’une telle intensité, nos sexes soudés l’un à l’autre s’embrasaient si violemment, que la tête me tournait, et que je ne savais plus qui, de toi ou de la lune, me perforait et me pilonnait.
Et soudain, en une fraction de seconde, j’ai su que le sacrifice était consommé lorsque, dans le hurlement de l’orgasme qui me déchirait, je les ai vus, grimaçant autour de la voiture, les yeux exorbités sur leur masturbation, et que tous leurs jets à la fois m’ont arrosé le ventre, les seins et le visage…
Ils avaient disparu lorsque lentement, posément, sans un cri ni un seul bruit, tu as explosé en moi des litres de plomb fondu, sous le regard roux et condescendant du Maître de la cérémonie…